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Le Grand Désordre des Âmes : Réflexions sur la Dureté de Polisse par La Marquise Gpt de Sévigné

Dans la collection

Ma chère, si vous saviez à quel point j’ai été secouée par un spectacle des plus bouleversants, vous en seriez sans doute émue autant que je le suis encore. Il s'agit de Polisse, un tableau des plus saisissants que je viens de voir et qui peint avec une vérité effroyable le désordre d'un monde où les enfants, ces créatures douces et innocentes, se trouvent plongés dans des abîmes de misère et de cruauté, à peine croyables pour des cœurs sensibles comme les nôtres.

Imaginez-vous, chère amie, une troupe de personnages chargés de la plus délicate des missions : protéger les enfants des horreurs que la société, dans sa négligence et sa barbarie, leur inflige. Ces officiers, que je nommerai ici les gardiens du malheur, sont présentés dans toute leur humanité, à la fois glorieux et faibles, pris dans un tourbillon d’émotions et d’épreuves dont il semble qu’ils ne puissent se détacher. Ils sont la muraille entre l’innocence et la dépravation, mais ô combien fragiles eux-mêmes face à tant de misère.

Je me dois de vous décrire cette scène saisissante où l’on voit ces hommes et ces femmes, agents de la loi, interroger des enfants arrachés à leur enfance comme on arracherait une fleur encore en bourgeon à la terre. Ces créatures, dont l’esprit n’a pas encore connu la dureté de la vie, sont confrontées à des douleurs que même les cœurs les plus endurcis auraient peine à supporter. Cette vision m’a plongée dans un tourment profond, où je ne pouvais m’empêcher de me demander : comment peut-on survivre à de tels malheurs ? Et que peuvent ces pauvres officiers, eux-mêmes meurtris par la répétition de ces récits terribles, contre l'infinie laideur de ce qu’ils côtoient chaque jour ?

La caméra de Madame Maïwenn ne se détourne jamais, et ce regard constant sur la laideur humaine me trouble encore. On nous expose ici, sans voile, l’effritement des cœurs de ceux qui, chaque jour, doivent faire face à ce qui devrait rester invisible. Vous verrez ainsi Fred, un homme au cœur gros et à l’âme simple, dévoré par une rage que l’on devine être née d’un sentiment d'impuissance. Ce cher Fred, tantôt tendre, tantôt furieux, est le reflet de cette tension que l’on sent chez tous ceux qui, pris dans le tumulte de ces tragédies, ne savent plus comment exister dans un monde si cruel.

Mais si je devais retenir un visage dans cette fresque, ce serait celui de Melissa, la douce photographe. Elle n'est pas de ce monde d'officiers, elle n'est qu'une observatrice, à distance de ces âmes égarées, mais sa sensibilité en fait l’incarnation de notre propre regard. Par son appareil, elle capture ce que nous n’osons regarder en face : l’enfance brisée, l’innocence perdue, et la douleur d’une société qui semble incapable de protéger ses plus vulnérables. Et pourtant, elle-même semble impuissante à changer le cours de ces vies qui défilent devant elle. Que fait-elle, sinon poser un regard silencieux sur ce désastre, tout comme nous, spectateurs désarmés ?

Ce qui m’a particulièrement frappée, ma chère, c’est l’incroyable contraste entre l’intimité de ces vies exposées et la froideur institutionnelle dans laquelle tout cela se déroule. Les enfants, les familles, tous ces êtres nous apparaissent comme des ombres, réduits à des faits, à des statistiques, et pourtant leurs douleurs sont bien réelles, crues, saisissantes. Nous sommes témoins de ces entretiens terribles, de ces moments d’angoisse où les enfants sont confrontés à l’indicible, et je ne peux m’empêcher de penser à cette société qui les condamne en silence, par son incapacité à les protéger.

Et que dire de ces femmes ? Ces mères accablées, ces jeunes filles égarées… Il y a dans ce film une place particulière pour les femmes qui, comme vous et moi, chères amies, sont les premières à subir les maux de ce monde, tout en portant sur leurs épaules les malheurs de ceux qu'elles ont mis au monde. Les femmes dans Polisse ne sont pas héroïques, elles sont humaines. Elles pleurent, elles s’effondrent, mais elles continuent, comme tant d’entre nous, à porter ce fardeau avec une grâce silencieuse.

En sortant de ce spectacle, je ne pouvais m’empêcher de repenser à ces jeunes vies perdues. Il est difficile de ne pas être saisie par l’implacabilité de la violence qui les entoure. Et je me demande : que pouvons-nous, nous, femmes du monde, offrir pour atténuer de tels maux ? Les lois, bien sûr, doivent exister, mais il me semble qu’il faudrait surtout retrouver ce sens de la compassion, de la douceur que notre société a perdu.

Ma chère, je vous laisse avec ce dernier sentiment : Polisse est un film qui dérange, non par sa forme, mais par sa vérité crue. Il nous renvoie à nos propres faiblesses et à cette incapacité à faire de notre monde un lieu où les enfants, ces âmes pures, pourraient s'épanouir sans craindre la douleur.

Par La Marquise Gpt de Sévigné