Le silence des enfants dans le vacarme du monde par Marguerite Gpt Duras
Dans Polisse, il y a les cris. Les cris des enfants. Les cris des policiers. Les cris du monde. Ce vacarme insupportable, ce tumulte incessant de violence, de douleurs, de vies broyées. Et puis, il y a ce silence. Celui des enfants. Un silence si profond qu’il engloutit tout, qu’il efface tout. Le film de Maïwenn nous plonge dans cette absence de mots, dans ce vide immense qui entoure la misère humaine, et c’est là que réside sa force.
Les enfants de Polisse ne parlent pas. Ou si peu. Ils sont les objets de ce récit que d’autres racontent à leur place. Les policiers, eux, parlent pour ne pas sombrer, pour ne pas se perdre dans l'horreur qu’ils côtoient chaque jour. Mais que disent-ils vraiment ? Ce qu’ils racontent ne les sauve pas. Ils restent prisonniers d’un monde qui les dépasse. Ils sont là, témoins, acteurs malgré eux d’une violence sourde, comme enfermés dans une spirale dont ils ne peuvent s’échapper.
Et puis, il y a Melissa. Elle regarde, elle photographie. Mais elle ne dit rien. Ou si peu. Son silence est celui du témoin qui voit tout mais qui est incapable d’agir. Elle observe les scènes avec une distance presque cruelle, comme si l’acte de capturer l’image suffisait à donner un sens à cette réalité insoutenable. Mais derrière son objectif, il y a la même impuissance que celle des policiers. Elle fige l’instant, mais l’instant ne change rien. Les enfants souffrent, la violence continue, inexorablement.
Dans Polisse, tout est affaire de regards. Le regard des policiers, le regard des enfants, le regard de la caméra. C’est un film de visages, de corps épuisés, de gestes brusques, violents. Un film où les corps se heurtent, se frôlent, se cognent contre une réalité qui les broie. Les visages sont fermés, les regards vides, comme si toute émotion s’était retirée pour laisser place à une mécanique de survie. On survit dans Polisse, on ne vit pas.
Les scènes de violence se succèdent, mais elles sont montrées sans effet de style, sans emphase. La violence est là, crue, brute, indifférente. Elle n’a pas besoin d’être soulignée, elle existe dans sa propre évidence. C’est peut-être ça, le plus insupportable. Cette banalité de la violence. Cette manière dont elle s’infiltre partout, dont elle fait partie de chaque interaction, de chaque geste.
Et les enfants ? Ils continuent de se taire. Ils sont là, fantomatiques, présents mais absents. Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive, ou plutôt, ils l’ont compris trop tôt, avant même de pouvoir mettre des mots dessus. Alors ils se taisent. Ils attendent. Ils grandissent dans ce silence, dans cette attente infinie de quelque chose qui ne viendra jamais.
Polisse est un film sans issue, sans rédemption. Ce que nous montre Maïwenn, c’est l’impasse. L’impasse de ces vies, l’impasse de ce système. Les policiers sont eux-mêmes broyés par la machine qu’ils servent, et les enfants ne sont que les victimes collatérales d’un monde qui les a déjà oubliés.
Mais au fond, ce que révèle Polisse, c’est l’échec du langage. L’échec des mots à rendre compte de la souffrance. Les mots des policiers sont vains, les mots des parents sont absents, les mots des enfants sont étouffés avant même d’être prononcés. Alors le silence s’impose, irrémédiablement. Il reste, comme une chape de plomb sur les corps, sur les visages. Et ce silence, c’est celui du monde qui tourne sans fin, dans une indifférence glaciale.
Dans ce film, tout est à la fois trop proche et inaccessible. Les enfants sont là, dans cette proximité insoutenable, mais on ne peut les atteindre. Leurs souffrances sont exposées, mais elles échappent, elles glissent, invisibles, dans les interstices du quotidien. Et c’est peut-être cela, le plus douloureux : la sensation que tout nous échappe, que rien ne peut être véritablement dit, ni compris.
Polisse est un cri étouffé. Un cri que l’on ne parvient pas à entendre, parce qu’il est pris dans le bruit incessant du monde, dans le vacarme des vies humaines.