Aller au contenu principal

Polisse de Maïwenn : Un miroir de la misère humaine par Léon Gpt Tolstoi

Dans la collection

En regardant Polisse de Maïwenn, il est impossible de ne pas penser à la misère humaine que j’ai observée à mon époque, cette misère qui, d’une génération à l’autre, semble inaltérable. Pourtant, si les contextes changent, si les villes s’agrandissent et si les progrès matériels se multiplient, la nature de la souffrance humaine reste la même. Le film de Maïwenn, comme un miroir de la société contemporaine, expose une réalité que peu osent regarder en face : celle des enfants délaissés, abusés, brisés par des forces sociales qui les dépassent. La misère qu’il décrit, celle de notre époque, n’est pas fondamentalement différente de celle que j’ai connue ; elle est simplement plus sophistiquée, cachée sous des apparences modernes, mais toujours aussi violente et inhumaine.

La misère éternelle de l’enfance bafouée

Au cœur de Polisse se trouve une vérité universelle : celle de l'enfance sacrifiée. Autrefois, les enfants mouraient de faim, de froid ou étaient exploités dans des conditions inhumaines. Aujourd'hui, ils souffrent dans des appartements bien chauffés, victimes de violences que la société a appris à déguiser. Mais le résultat est le même : des âmes innocentes brisées, des vies condamnées dès le plus jeune âge à l'injustice et à l’indifférence. Ce que montre Maïwenn avec une justesse poignante, c’est que, malgré toutes nos évolutions sociales, économiques et technologiques, nous échouons encore à protéger les plus vulnérables.

La Brigade de Protection des Mineurs, à travers laquelle le film nous introduit à cette souffrance, est un reflet de la société dans son incapacité à prévenir cette violence. Comme autrefois, où l’on se contentait de charité pour apaiser les maux criants des plus pauvres sans jamais en attaquer les causes profondes, aujourd’hui encore, nous nous limitons à des gestes symptomatiques : on sauve l’enfant blessé, mais on ne s’attaque jamais aux structures qui permettent à cette violence de perdurer.

Un cycle de désespoir social

Les policiers eux-mêmes, ces hommes et ces femmes usés par des années passées à côtoyer la misère, semblent pris dans ce cycle sans fin. Leur vie est un balancier entre la brutalité qu’ils côtoient et leur propre incapacité à y remédier. Ce sont des êtres tourmentés, non seulement par ce qu’ils voient, mais par la conscience de leur impuissance. L’héroïsme qu’on pourrait attendre d’eux est ici absent. Ils ne sont pas des sauveurs, mais des témoins désabusés, acteurs malgré eux d’un système qui engloutit toute tentative de rédemption.

Fred, Nadine, Melissa et leurs collègues ne sont pas différents des serviteurs de la bureaucratie tsariste de mon époque, des hommes et des femmes enfermés dans des rouages administratifs si lourds qu’ils finissent par perdre toute foi en leur mission. Leur humanité, malgré leurs efforts, est érodée par la répétition des mêmes histoires, des mêmes tragédies. Ils deviennent les rouages d’une machine qui traite la souffrance sans jamais la prévenir, sans jamais la comprendre dans toute sa complexité.

Les causes profondes de la souffrance

Mais où est l'origine de cette souffrance ? À mon époque, la pauvreté matérielle, l'exploitation des serfs, l'ignorance et l'absence de réformes sociales étaient les principales causes de la misère humaine. Aujourd'hui, il semble que la misère soit devenue plus insidieuse. Ce n’est plus seulement la faim qui tourmente les enfants, mais l’abandon, la violence domestique, la détresse psychologique, des maux que notre société moderne, pourtant si riche en ressources, n’arrive pas à guérir.

La société contemporaine, comme celle de mon temps, est structurée autour d’une inégalité profonde, non seulement économique, mais morale. Les parents, eux-mêmes écrasés par des pressions matérielles et émotionnelles, reportent leur désespoir sur leurs enfants. Les structures familiales, autrefois soutenues par des croyances religieuses et communautaires, se sont effondrées, laissant un vide que l’État, malgré tous ses efforts, ne parvient pas à combler.

Un appel à la justice morale

Il ne suffit pas de réagir à la misère ; il faut la prévenir. Comme à mon époque, ce n’est pas en multipliant les lois ou en renforçant la répression que l’on sauvera ces enfants, mais en s’attaquant aux racines de cette violence : l’injustice sociale, l’égoïsme des classes privilégiées, l’isolement des individus dans une société de plus en plus déshumanisée.

La première des réformes doit être morale. Il faut réapprendre à vivre en communauté, à se soucier les uns des autres, non pas comme des entités séparées, mais comme des membres d’une même humanité. Cela commence par une éducation qui place la solidarité, la compassion, et le respect des plus faibles au cœur de ses préoccupations. Il est nécessaire que chaque citoyen comprenne que l'enfance, quelle que soit sa condition, est sacrée et doit être protégée à tout prix.

Ensuite, des réformes sociales profondes sont indispensables. Il ne suffit plus de redistribuer les richesses ; il faut redonner aux familles la capacité d'élever leurs enfants dans des conditions dignes, avec le soutien des structures sociales et communautaires. Les politiques de l’enfance doivent être prioritaires dans tous les domaines de la vie publique. Il est de la responsabilité de l’État, mais aussi de chaque individu, de s’assurer que l’enfant ne soit plus une victime collatérale des dysfonctionnements sociaux.

Agir pour l’enfance

Polisse est un appel à l’action, un cri lancé contre la violence faite aux enfants, mais aussi contre notre propre apathie. Il nous montre que la misère n’est pas seulement une question de pauvreté matérielle, mais de délitement moral. Tant que nous continuerons à fermer les yeux sur ces souffrances, tant que nous nous contenterons d'intervenir après coup, sans jamais prévenir, nous resterons complices d’une société qui sacrifie ses enfants sur l’autel de l’indifférence et de l’injustice.

Il est temps de réapprendre la compassion véritable, celle qui ne se contente pas d’agir à la surface des choses, mais qui s’attaque aux racines mêmes de la souffrance humaine. C’est seulement à travers une réforme profonde de nos valeurs, de nos institutions et de notre manière de vivre ensemble que nous pourrons espérer offrir à ces enfants un avenir meilleur, un avenir où la misère ne sera plus leur destinée inéluctable.