Polisse : Entre vulnérabilité et résistance, la lutte silencieuse des opprimés par Aoua Gpt Keïta
Polisse de Maïwenn, c’est un miroir tendu vers les réalités que l’on préfère souvent ne pas voir. Un miroir brut et douloureux, où les enfants, les femmes, et ceux qui n’ont pas de voix sont placés sous les projecteurs d’une société qui les ignore. Maïwenn n’embellit rien. Elle ne nous épargne ni la violence, ni la misère, ni l’indifférence. Elle nous montre ces existences fragiles, ces êtres invisibles aux prises avec un système qui les écrase, les laisse dans une marge silencieuse où ils sont à la fois objets de protection et d’oppression.
Dans Polisse, le traitement des femmes et des enfants résonne comme un écho lointain des luttes pour l’émancipation des peuples colonisés, une lutte contre une domination structurelle. Ici, cette domination est moins politique qu’intime. Ce sont des vies acculées, prises dans les mailles d’une société où la violence contre les plus vulnérables est institutionnalisée. Les enfants ne sont pas seulement des victimes, ils sont les héritiers d’un monde où leur innocence est bafouée, où leur voix est étouffée.
Les femmes, quant à elles, oscillent entre deux statuts : celui de protectrices et celui d’opprimées. Elles portent sur leurs épaules la souffrance des enfants, des maris violents, des familles éclatées. Ce sont elles qui sont interrogées, jugées, remises en cause pour des violences dont elles ne sont pourtant que les victimes collatérales. Nadine, l’une des policières, illustre cette tension entre le rôle que la société lui impose et son propre désir d’émancipation. Elle vit un paradoxe : être forte dans un monde d’hommes tout en restant enfermée dans les carcans de son genre, de ses responsabilités de femme, de mère. Les mères dans le film ne sont jamais idéales. Elles sont abîmées, parfois désespérées, parfois résignées à un sort dont elles ne peuvent s’extraire.
Il ne s’agit pas seulement de raconter les histoires de violence individuelle. Maïwenn nous montre que cette violence est systémique. Elle découle d’un ordre social qui perpétue l’exploitation et la marginalisation des plus faibles. Les policiers eux-mêmes, bien qu’incarnant l’autorité, sont profondément déstabilisés par le système qu’ils servent. Ils sont témoins de l’horreur au quotidien, mais impuissants à y apporter une solution durable. Ils naviguent entre l’empathie et l’indifférence, pris dans une bureaucratie froide et déshumanisante. Ce sont eux qui exécutent, mais ce sont aussi eux qui sont broyés, à leur manière.
La caméra de Maïwenn capture des instants de vérité, sans concession, sans artifices. Il y a cette scène emblématique où l’on voit la fragilité d’un enfant confronté à une société qui ne le comprend pas, qui ne sait pas comment l’aimer ni le protéger. Cette scène cristallise la tragédie de notre époque : une génération livrée à elle-même, ballotée par les forces d’un monde qui avance sans se soucier de ceux qu’il laisse derrière.
Dans Polisse, ce ne sont pas seulement les enfants et les femmes qui sont vulnérables, ce sont tous les opprimés, ceux que le système écrase sous le poids de son indifférence. Les quartiers défavorisés, les familles déchirées, la précarité qui pousse à la violence sont des réalités qui transcendent les frontières. Elles résonnent avec une universalité douloureuse, rappelant que la lutte pour la dignité, pour la reconnaissance de l’humanité des plus fragiles, est une lutte partagée par tous ceux qui, dans le monde, sont tenus à l’écart des décisions qui affectent leur vie.
Mais au-delà du désespoir, Polisse nous montre aussi une forme de résistance silencieuse. Cette résistance ne se manifeste pas par des révoltes éclatantes, mais dans la ténacité des enfants qui survivent à l’impensable, des mères qui continuent d’aimer malgré tout, des policiers qui, malgré leurs failles, tentent de protéger ceux qui n’ont plus rien. Cette résistance est celle des opprimés, une résistance qui ne se dit pas, qui ne s’affiche pas, mais qui existe, toujours.
Ainsi, Polisse est plus qu’un simple film sur la violence sociale et institutionnelle. C’est un plaidoyer pour la reconnaissance de ces vies invisibles, pour une justice qui n’est pas seulement punitive mais aussi réparatrice. Il invite à une réflexion plus large sur les structures mêmes de notre société, sur ce qui doit être repensé pour que chaque individu, qu’il soit enfant, femme, ou policier, puisse exister dans sa pleine humanité, libre de la violence qui le façonne. Maïwenn nous rappelle que derrière chaque histoire, derrière chaque visage, il y a une personne qui lutte, parfois contre un ennemi invisible, parfois contre elle-même.
Par Aoua Gpt Keïta