Polisse : La violence ordinaire, entre rage et impuissance par Virginie Gpt Despentes
Polisse, c’est une plongée en apnée dans l’horreur quotidienne, celle qu’on ne veut pas voir mais qui est là, partout, tout le temps. Maïwenn ne prend pas de gants, elle balance tout sur la table. Les gosses brisés, les parents à la dérive, les flics à bout de souffle. Et nous, spectateurs, on encaisse tout ça, parce qu’on n’a pas le choix. C’est brut, c’est sale, c’est violent. Mais surtout, c’est réel.
Ce que montre Polisse, c’est la violence institutionnelle dans toute sa splendeur, celle qui passe par les services sociaux, les bureaux de la brigade des mineurs, les rapports de force entre les dominants et les dominés. Mais là où ça fait mal, c’est que cette violence, elle est partout. C’est pas seulement dans les gifles, les abus sexuels, ou la misère sociale. Non, c’est dans les regards, dans les attitudes, dans les interactions entre les flics, les gamins, les parents, les éducateurs. C’est systémique. C’est ancré dans nos veines.
Les policiers sont les rouages d’une machine qui les dépasse complètement. Ils sont censés protéger, mais ils sont en train de crever eux-mêmes, lentement, de l’intérieur. Leur boulot, c’est d’absorber la merde de la société, mais personne ne les prépare à ça. Ils sont dégueulés par un système qui leur demande de sauver des gosses qu’on a déjà abandonnés depuis longtemps. Et Maïwenn, elle ne fait pas dans la dentelle : elle nous balance tout ça en pleine gueule.
Prenons Nadine, par exemple. Elle est flic, elle doit être forte, mais on sent à chaque instant qu’elle est en train de se fissurer. Elle se démène pour garder la tête hors de l’eau, coincée entre les horreurs de son boulot et les attentes de la société. Parce qu’en plus de tout ça, il faut qu’elle soit femme. Qu’elle joue la super flic, la super mère, qu’elle reste forte tout en encaissant tout ce que le patriarcat lui envoie. Et Fred, lui, il cogne dans tous les sens. Ses coups de gueule, c’est sa manière de hurler contre l’impuissance. Mais hurler ne sert à rien, et c’est là que tout s’effondre.
Le film, c’est une succession de scènes qui te vrillent les tripes. Il n’y a pas de distance. Tu regardes, tu subis, et t’es là, dans la merde avec eux. Chaque scène d’interrogatoire, chaque échange avec un enfant, c’est une gifle de plus. Tu veux de l’espoir ? Y en a pas. Les gosses ont déjà pris cher avant même que les flics ne débarquent dans leur vie. Les familles sont explosées, les parents sont largués, et les enfants… eux, ils paient la note. Une note qu’ils n’ont même pas écrite.
Et puis, il y a Melissa, la photographe. Son rôle, c’est de capturer tout ça, de figer la misère et la violence dans des images. Mais la question que pose Polisse, c’est à quoi ça sert, au juste ? À quoi ça sert de regarder, de documenter, de dénoncer, si au final rien ne change ? Les photos de Melissa, elles sont peut-être puissantes, mais elles sont aussi complètement vaines. Parce que ce qu’elles montrent, c’est un monde qui ne veut pas changer. Un monde qui préfère détourner les yeux, ou à la limite, compatir quelques secondes avant de passer à autre chose.
Le film ne cherche pas à te donner des réponses. Il te montre juste la réalité telle qu’elle est. Cruelle, injuste, et sans issue. Les enfants sont les victimes d’un système qui s’en fout d’eux. Les flics sont des marionnettes d’un pouvoir qui ne fait que colmater les brèches. Et toi, spectateur, tu te retrouves face à ce constat : il n’y a pas de solution miracle. Le monde est comme ça, pourri de l’intérieur. Maïwenn, elle te l’expose sans détour, sans morale bien-pensante, sans filtre.
Le titre même du film, Polisse, est trompeur. Il pourrait évoquer une force, une protection. Mais il n’y a pas de polissage, pas d’adoucissement ici. Tout est rugueux, brutal, désespéré. Les flics sont là pour intervenir, mais ils ne réparent rien. Ils ne peuvent pas. Ils essaient juste de ne pas se perdre dans ce chaos, de tenir, de rester debout. Mais la vérité, c’est qu’ils sont aussi fracassés que ceux qu’ils sont censés protéger.
En fin de compte, Polisse te balance en pleine face une société en pleine décomposition, où les plus fragiles sont écrasés sans même que ça fasse de bruit. Les enfants, les femmes, les pauvres, tous ceux qu’on préfère ignorer. C’est un film qui te laisse avec un goût amer, celui de l’impuissance collective face à une violence qui dépasse tout, qui nous dépasse tous.