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Polisse : le témoin de l’ineffable par Victor Gpt Hugo

Dans la collection

Dans l’abîme humain que Maïwenn nous dévoile avec Polisse, il n’est plus temps de juger l’ombre ou la lumière, car ici, le ciel est fermé. Ce film, semblable à une tragédie moderne, nous plonge dans un monde où la misère, la violence et l’humanité se heurtent de plein fouet, dans un éclat de désespoir et de révolte. La Brigade de Protection des Mineurs (BPM) devient l’arène où se joue la lutte perpétuelle entre le bien et le mal, non plus comme des entités métaphysiques, mais comme des forces intimement mêlées dans l'âme humaine.

L’humanité aux prises avec elle-même

Dans cette œuvre, Maïwenn a capturé l’essence de ce que l’homme peut devenir lorsqu’il est plongé dans la souffrance de ses semblables. Nous assistons à un combat, non pas seulement entre des policiers et des criminels, mais entre les hommes et leur propre nature, entre l’idéal de justice et la réalité impitoyable des faits. Fred, Nadine, Iris et les autres membres de la brigade, tels des soldats harassés, sont les héros et les martyrs d’une lutte qui semble ne jamais pouvoir s’achever.

Fred, ce personnage impulsif, incarne la rage contenue contre un ordre social qui laisse perdurer l’injustice. Il est la tempête, l’indignation incarnée. À travers lui, c’est la voix de ceux qui ne peuvent plus tolérer le mal sans agir. Ses colères sont celles de l’homme qui, voyant l'innocence brisée, veut détruire le monde pour le refaire. Mais cette force, cet élan vers la justice, est condamné à échouer, car la réalité résiste, inébranlable, à la pureté des intentions.

Nadine, quant à elle, est l’autre facette de l’humanité en souffrance. Son visage, marqué par la fatigue et l’impuissance, nous raconte l'histoire de ceux qui ont déjà trop vu. Elle est cette femme à qui l’existence n’offre plus que des luttes vaines.

La tragédie moderne : des cœurs submergés par le mal

Polisse expose la fatalité qui semble peser sur ces hommes et ces femmes, non pas comme une malédiction divine, mais comme une conséquence inévitable de la misère humaine. Là où il y a des enfants victimes, il y a des âmes brisées. Et ces enfants, ces figures de l’innocence souillée, apparaissent non pas comme des êtres à sauver, mais comme des témoins silencieux d’un désastre auquel personne ne semble pouvoir échapper.

Les scènes d’interrogatoires, comme des tableaux sombres, révèlent l’horreur du mal, mais aussi l’horreur de l’impuissance. Chaque question posée, chaque réponse donnée est une nouvelle pierre à ce mur d’angoisse qui enferme peu à peu les policiers eux-mêmes. Il ne s’agit plus ici de défendre la société contre ses démons, mais d’empêcher l’effondrement de ce fragile équilibre entre la justice et la barbarie. Mais comment juger ? Comment punir ? Lorsque l’agresseur a lui-même été victime, lorsque le mal a déjà contaminé les âmes, il ne reste que des cœurs meurtris qui cherchent une vérité introuvable.

L’appareil photo de Melissa : le témoin de l’ineffable

Melissa, le personnage incarné par Maïwenn, joue un rôle singulier, presque divin, mais à la manière de ces dieux impuissants qui ne peuvent qu’observer. Sa caméra, tel un œil omniscient mais désarmé, capte les mouvements de la douleur, les gestes de colère, les éclats de rire nerveux qui tentent de masquer le vide. Ce regard figé, implacable, ne juge pas, ne condamne pas. Il se contente de refléter, de capturer l’instant, comme pour rappeler que toute cette horreur n’est pas une fiction, mais bien la réalité d’une société en décomposition.

Dans la scène des tirs, alors que les policiers s’entraînent, l’appareil photo devient un personnage à part entière. Le fracas des balles, ces éclats de violence maîtrisée, contraste avec la présence silencieuse de Melissa, qui fige ces moments comme pour dire : « Voyez, ceci est la vérité de votre monde. Vous tirez, vous criez, mais rien ne change. » Les tirs ne sont qu’un exutoire, une tentative désespérée de contrôler l’incontrôlable. Mais tout reste en suspens, car le mal ne disparaît pas sous les balles.

La chute et la rédemption impossible

Chez Maïwenn, comme chez Hugo, il y a cette idée que la misère, lorsqu’elle atteint un certain seuil, entraîne dans sa chute même ceux qui tentent de la combattre. Les policiers, qui au départ incarnent un certain idéal de justice, deviennent eux-mêmes des êtres consumés par ce qu’ils cherchent à réparer. Ils sont pris au piège d’un cercle infernal, où chaque geste pour secourir, pour protéger, les enfonce un peu plus dans l’obscurité.

Il n’y a pas, dans Polisse, d’issue de secours, de rédemption possible. La brigade ne parvient pas à sauver les enfants des griffes du mal ; elle ne parvient pas non plus à se sauver elle-même. 

Conclusion : l’abîme de la condition humaine

Polisse capture l’abîme de la condition humaine. Maïwenn ne nous offre pas ici un film de jugement, mais une fresque brute de réalités sociales qui échappent aux structures habituelles de bien et de mal. Les policiers, ces âmes dévouées mais faillibles, ne sont ni des héros ni des bourreaux ; ils sont simplement des êtres humains aux prises avec une mission qui les dépasse.

Dans cet univers, la misère n’est plus seulement matérielle ; elle est spirituelle, elle est existentielle. Polisse révèle, comme chez Hugo, que le véritable ennemi n’est pas tant l’injustice sociale que l’inévitable confrontation avec le mal que chaque individu porte en soi. Maïwenn, en capturant ces instants de vie brisée, expose une vérité que l’on voudrait parfois ignorer : il n’y a pas de victoire possible contre l’abîme. Et pourtant, l’homme continue de lutter, de tirer, de photographier. Parce que telle est sa condition.

Par Victor Gpt Hugo